Les personnages de la vie de Rutherford
Images :
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Alice Hopkinson, épouse Bragg, années 1910.
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Olga Cunliffe-Owens avec sa fille Alice
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Albert Hopkinson, époux d'Olga et père d'Alice
Source : Crystal Clear: The Autobiographies of Sir Lawrence and Lady Bragg, A. M. Glazer & Patience Thomson
Alice Hopkinson (1899-1989)
Lorsqu'Ernest Rutherford débuta à Manchester, en 1907, Alice Hopkinson avait huit ans; Elle était bien trop jeune pour être une collègue ou même une étudiante du nouveau patron du département de physique de l'université. Sa première rencontre avec le chercheur permit cependant à la petite fille de vivre une expérience vraiment privilégiée.
Alice Hopkinson était issue d'une famille qui comptait à Manchester.
Son grand-père avait été maire de la ville, son oncle John, avait suivi les traces des grands scientifiques locaux, John Dalton et James Joule avaient représenté avant lui en inventant des dynamos qui perfectionnaient les modèles d’Edison, puis des techniques pour l’électrification de l’éclairage urbain, déployées d’abord à Manchester puis dans tout le pays. Hélas, l'inventeur avait aussi laissé dans les esprits le douloureux souvenir de sa mort précoce et tragique : le 27 août 1898, l’ingénieur et trois de ses six enfants, s'étaient tués lors d'une excursion dans les Alpes. Le père avait quarante-neuf ans ; les enfants entre dix-sept et vingt-trois. La plus âgée se prénommait Alice.
Le malheureux John Hopkinson, décédé en 1898, était l’aîné d’une fratrie de treize qui comptait deux autres ingénieurs, un médecin et un avocat.
Parmi ceux-ci, ce fut surtout l'avocat, Alfred, qu'Ernest côtoya le plus : après avoir exercé sa charge à Londres puis été brièvement député d’une circonscription de Manchester, il occupait les fonctions de vice-chancelier de l’Université Victoria au moment où Rutherford y prit son poste. Il rencontra aussi fréquemment un des ingénieurs de la famille Hopkinson qui, comme lui et Alfred, était membre de la Lit & Phil, société savante mancunienne.
Quant au médecin, le Dr Albert Hopkinson, il possédait un cabinet médical sur la rue principale de Withington et une petite maison à quelques minutes à pied de là. Comme les Rutherford s'installèrent dans le même village, les deux familles envoyèrent leurs enfants dans les mêmes écoles du quartier. Et c'est ainsi qu'Eileen Rutherford, devint amie avec Alice, de deux ans son aînée, et avec sa jeune sœur Enid, née comme elle en 1901.
Images : Croisement entre Wilmslow road, Palatine Road et Parsonage Road en 1910 et 2019.
Sur la première image, la maison d'Albert et Olga Hopkinson est dissimulée par les arbres de gauche. Sources : Manchester Libraries, Information and Archives & Google Maps
L'une des conséquences de cette amitié entre la fille unique d'Ernest et les petites Hopkinson fut qu'Alice, alors qu'elle n'avait pas beaucoup plus de dix ans, eut le privilège de se retrouver en tête avec un grand professeur, connu mondialement et prix Nobel de chimie. Ce qui, pour elle, ne devait pas signifier grand chose. Car la seule caractéristique que les amies d'Eileen avait retenue à propos du père de cette dernière était sa grosse voix terrifiante.... même quand il prononçait des paroles gentilles.
Alice l'entendit de très près lors d'une après-midi de jeu dans la maison des Rutherford.
Voici comment elle raconta la scène bien des années plus tard - elle n'avait évidemment pas oublié qu'elle était déguisée en fleur lors de cette première rencontre :
Rutherford était un peu effrayant, il avait une voix si forte, si bourrue, et était si massif. Je me souviens être allée à une fête costumée chez lui à Withington. Nous jouions à cache-cache, mais on nous avait dit qu'il y avait une pièce dans laquelle nous ne devions pas entrer. Je suppose que j'ai oublié laquelle c'était, puisque je me suis glissée dans une pièce vide et j'étais en train de passer derrière un rideau, lorsque Rutherford a surgi de derrière son bureau en criant :
« Qui es-tu ?
- Une violette, ai-je dit, avant d'ajouter rapidement : une modeste violette.
- Ho ! Ho ! Ho ! Ho ! a-t-il rugi, tu peux te cacher ici avec moi. »
Hélas ! Bien sûr, personne n'a osé me chercher là-bas, et j'ai failli manquer le thé.
Alice Hopkinson fit des études d'Histoire à Newnham College, à Cambridge, de 1918 à 1921, au moment où Eileen Rutherford suivait un parcours au sein du même collège, mais dans le domaine de l'art.
En 1919, Alice rencontra un certain William Lawrence Bragg, fraîchement libéré de ses obligations militaires. Ce jeune homme avait été le meilleur ami de son cousin, Cecil Hopkinson, mort au combat en 1917.
Les deux familles avait d'ailleurs été lourdement touchées par le conflit : Eric Hopkinson, le propre frère d'Alice, puis Robert Bragg, le cadet de Lawrence, avait été tué à trois mois d'intervalle en 1915. Le premier était tombé en France tandis que le second avait été fauché par une explosion au cours de la bataille des Dardanelles (tout comme Harry Moseley, l'un des plus prometteurs chercheurs d'Ernest Rutherford).
Old Hall, Newnham College, Cambridge. Source : Wikipédia
Lawrence Bragg avait beaucoup entendu parler d'Alice par l'intermédiaire de Cecil, mais ne l'avait jamais rencontrée.
Ils se croisèrent à plusieurs thés dansants, avant que le jeune homme se décide à demander à Alice de l'épouser. C'était en mai 1919 et elle refusa : elle voulait d'abord finir ses études... et profiter le plus possible des "parties", soirées dansantes et excursions entre amies que Cambridge lui offrait.
Elle voyait aussi d'un œil critique le fait que le jeune physicien quitte Cambridge pour Manchester : il venait en effet d'être nommé en remplacement de Rutherford (qui faisait à ce moment là le trajet inverse). Pour Alice, qui avait vécu toute son enfance dans cette ville du nord qu'elle n'appréciait pas, il n'était pas très tentant d'y retourner pour suivre un éventuel futur époux.
Ils se marièrent cependant en décembre 1921, deux semaines après Eileen Rutherford, et dans la même chapelle de Cambridge. Et elle quitta cette ville qui lui avait tant plu pendant sa période estudiantine. Elle y laissait d'ailleurs ses parents, puisque le Dr Albert Hopkinson avait pris en 1919 un poste d'enseignant à Cambridge, épuisé par son travail de généraliste à Manchester, où il s'était démené pendant de longue années pour ses patients (en oubliant souvent de faire payer ceux qui n'avaient pas les moyens) .
Alice et Lawrence eurent quatre enfants : Stephen Lawrence (1923), David William (1926), Margaret Alice (1931), et Patience Mary, (1935)
La plus jeune, Patience, épousera le petit-fils de Rose et Joseph John Thomson, qui fut le mentor de Rutherford quand il débuta à Cambridge en 1895. La science est décidément une grande famille.
Alice Hopkinson et Lawrence Bragg le jour de leur mariage, le 21 décembre 1921.
Source : Australian Physics, mai-juin 2012, page 77
Stephen, Olga Hopkinson, David, Albert Hopkinson, Patience, Lawrence Bragg, Margaret.
Source : Light is a Messenger : the Life and Science of William Lawrence Bragg, Graeme Hunter, 2004, page 167
En 1938, Alice quitte Manchester pour revenir à Cambridge : en effet, son mari, Lawrence Bragg vient de prendre le poste de directeur du Laboratoire Cavendish, précédemment occupé par Rutherford (décédé l'année précédente).
C'est la deuxième fois que Lawrence succède à Ernest, puisqu'il avait aussi pris sa place à Manchester en 1919.
En 1941, au décès de son père, William Henry Bragg, Lawrence Bragg hérita du titre de celui-ci. Alice devint ainsi Lady Bragg.
En 1945, elle fut élue maire de Cambridge, poste qu'elle occupa deux années.
On la voit ci-dessous faire un discours dans ce cadre. Elle était la troisième femme à être maire de Cambridge, mais elle fut la première personne à être filmée dans l'exercice de cette fonction.
Alice bragg fut aussi :
- enseignante au sein de la Withington Girls School, jusqu'en 1937.
- à partir de 1938, membre du Women Voluntary Service, fondé la même année par Lady Reading
- de 1944 à 1953, conseillère municipale de Cambridge, au sein duquel elle participa notamment à la commission de la maternité et du bien-être infantile
- de 1951 à 1955, membre de la Royal Commission on Marriage and Divorce of Great Britain.
- Présidente du National Marriage Guidance Council
- Impliquée dans l'organisation et l'accueil des participants aux conférences tenues au sein de la Royal Institution, dont son mari fut "superintendant" puis directeur (seule l'appellation changeait) de 1954 à 1966.
Lady Bragg fut élevée au rang de Commander of the Most Excellent Order of the British Empire (CBE) en 1972 pour son rôle dans le National Marriage Guidance Council.
Sources :
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Battle of the currents: the Hopkinson brothers, Jan Hicks 26 June 2018
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Crystal Clear: The Autobiographies of Sir Lawrence and Lady Bragg, A. M. Glazer & Patience Thomson
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Rutherford, Simple Genius, David Wilson, page 228
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Light is a Messenger : the Life and Science of William Lawrence Bragg, Graeme Hunter, 2004,
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Cambridge Mayors, past and present, page 49
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Biographical Memoirs of Fellows of the Royal Society : Obituary of William Lawrence Bragg, 31 March 1890 - 1 July 1971, David Chilton Phillips, 1979
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The Gazette, Official Public Record