Les personnages de la vie de Rutherford
Harry Moseley (1887-1915)
“Henry Gwyn Jeffreys Moseley. Born Nov. 1887. Killed in the Great War at Gallipoli. August 10, 1915.” (“Henry Gwyn Jeffreys Moseley. Né Nov. 1887. Tué durant la Grande Guerre à Gallipoli. 10 Août 1915.”)
Mention manuscrite porté au dos de la photo ci-dessous par Amabel Moseley, mère de H.G.J. (dit Harry) Moseley.
Images :
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Harry Moseley en 1910. Source : History of Science Museum, Oxford University
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Harry Moseley à Oxford, en 1913 ou 1914. Source : Science Service, Smithsonian Institution Archives, Washington, D.C.
Au moment où il s'engagea dans le premier conflit mondial, en 1914, Harry travaillait à Oxford, là où il avait obtenu ses derniers diplômes, depuis un an. Avant cela, il avait fait partie de l'équipe de recherche d'Ernest Rutherford à Manchester de 1910 à 1913.
C'est là qu'il avait débuté des expériences sur les rayons X, apportant des preuves aux modèles atomiques de Rutherford puis de Bohr et établissant la "loi de Moseley" qui explique l'ordre des atomes dans la classification périodique, en reliant par une formule mathématique leur "numéro atomique" à la fréquence des rayons X émis par chaque élément.
La spécialité de Manchester était celle de Rutherford, à savoir la radioactivité. Il fut de ce fait réticent à voir Moseley s'intéresser à un autre sujet. Mais il l'autorisa à s'investir dans les rayons X, car il savait qu'un chercheur passionné est plus efficace qu'un chercheur contraint ; et il considérait Moseley comme un expérimentateur exceptionnel ; et il connaissait sa finesse d'esprit.
Il en avait lui-même fait les frais quand, à la mi-octobre, Harry lui avait signalé une erreur dans son dernier article publié le même mois dans le Phil. Mag. Rutherford avait oublié d'intégrer la relativité (théorie qu'il ne maîtrisait pas, au contraire de Moseley) dans ses calculs. Le patron avait grommelé devant son assistant que ça ne changeait pas les conclusions de l'article, mais avait reconnu l'intérêt de la remarque et rédigé dès le 4 novembre, une lettre de correction qu'il avait transmise pour parution dans le numéro de décembre du Phil Mag.
" Monsieur Moseley a attiré mon attention sur le fait, que j'avais négligé, que selon la théorie de Lorentz-Einstein, l'énergie totale E de l'électron n'est pas obtenue à partir de la formule ci-dessus, mais par E = (suivait la formule corrigée)".
À 25 ans, obtenir une rétractation de la part de l'un des plus grand physiciens de l'époque, Prix Nobel et directeur du laboratoire de recherche le plus performant au monde, c'était un bel exploit pour Harry Moseley. Mais il n'était pas étonnant que cela fût possible, connaissant la personnalité de Rutherford.
Il était connu pour ne faire jamais ou presque jamais d'erreur (tout en étant parfois un peu cavalier avec la manipulation des outils mathématiques). En réalité, il ne publiait jamais d'article avant d'être certain de son fait, prouvé par des expérimentations rigoureuses et éventuellement fondés sur des avis de ses assistants ou étudiants.
Cependant, le jour où il publia un article erroné, il lui parut évident qu'il fallait le reconnaître et surtout mettre en avant le nom de celui qui l'avait corrigé. Malgré sa réputation, ses prix et ses médailles, le Professeur Rutherford faisait passer la science et ses progrès bien avant son amour-propre. Un principe que tous les scientifiques n'ont pas toujours suivi.
La suite lui montra qu'il avait eu raison de laisser Moseley décider de sa voie de recherche, vus les résultats évoqués plus haut. De plus, cette étude des rayons X valut aux autres chercheurs du domaine l'attribution des Prix Nobel de physique 1914 (Max von Laue) et 1915 (William Henry Bragg et William Lawrence Bragg). Celui de 1916 aurait eu de grandes chances de revenir à Harry Moseley (qui avait déjà été nommé en 1915, à la fois pour le prix de physique et le prix de chimie, par Svante Arrhenius, comme l'indique le site des Nobel).
Le 10 août 1915, à Gallipoli, le physicien de 27 ans reçut une balle en pleine tête qui mit fin à l'une des carrières les plus prometteuses de la science du début du XXè siècle.
Situation du détroit des Dardanelles
& carte de la péninsule de Gallipoli.
Sources : National Archives UK & Wikipédia
Source : Find a Grave
Premières lignes de la nécrologie rédigée par Ernest Rutherford pour la revue Nature, édition du 9 septembre 1915
Les scientifiques de ce pays ont vu avec des sentiments mêlés de fierté et d'appréhension l'enrôlement dans les nouvelles armées de si grand nombre de nos jeunes hommes de science les plus prometteurs - avec fierté pour leur réponse immédiate et sans réserve à l'appel de leur pays, et avec appréhension de pertes irréparables pour la science. Ces pressentiments n'ont été que trop rapidement réalisés par la mort au combat aux Dardanelles, le 10 août, de Henry Gwyn Jeffreys Moseley, 2e lieutenant dans les Royal Engineers, à l'âge de vingt-sept ans.
L'image ci-contre montre les plaques photographiques utilisées par Harry Moseley en 1914 (il était alors en poste à Oxford).
On y voit des raies correspondant aux fréquences des rayons X émis par divers éléments chimiques (exemples : Cu, Ni, Co, Fe sont respectivement le cuivre, le nickel, le cobalt, le fer).
Moseley a démontré que ces fréquences augmentaient quand le numéro atomique des éléments augmentait. Il a ainsi établi que les éléments pouvaient être classés selon ce numéro atomique et non pas selon le "poids atomique" (on dit aujourd'hui "masse atomique"), comme l'avait fait Mendeleïev en 1869 dans son célèbre tableau. Cela expliquait pourquoi la classification de Mendeleïev avait dû subir quelques ajustements.
Moseley a aussi établi que ce numéro atomique n'était pas seulement un numéro d'ordre arbitraire, mais qu'il correspondait au nombre de charges positives contenues dans le noyau des différents atomes, étayant ainsi la théorie atomique de Rutherford.
La vidéo ci-dessous (en anglais) montre le déroulement de ses expérimentations.