Les personnages de la vie de Rutherford
Harriet Brooks (1876-1933)
En commençant l'écriture de ma biographie d'Ernest Rutherford, j'avais en tête deux thèmes principaux. D'abord la capacité de certaines personnes à avancer, courageusement, avec persévérance, comme ce fils d'agriculteur de Nouvelle-Zélande qui devint "le père de la physique nucléaire". Ensuite, son aptitude à transmettre à des plus jeunes, en les valorisant, en les stimulant, en créant une ambiance qui favorise l'envie d'apprendre, de comprendre, de chercher. Ce fut le cas, évidemment, avec Harriet Brooks, étudiante canadienne, puis physicienne diplômée, "la plus grande après Marie Curie", selon Rutherford.
Ainsi un troisième thème s'est dessiné : la place des femmes dans la science. Harriet Brooks, Marie Curie, Ellen Gleditsch, Fanny Gates, Hertha Ayrton, Margaret White et d'autres sont apparues dans mon roman.
Images :
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Harriet Brooks en 1898
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Couverture de la biographie d'Harriet Brooks
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Colleges Bryn Mawr et Barnard vers 1900
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Maxim Gorki et Maria Andreieva en 1906
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Harriet Brooks en 1921 avec son mari et ses trois enfants. Source : Super Women in Science., page 31, K. Di Domenico.
Hélas, malgré les efforts de Rutherford, le nom d'Harriet Brooks s'est effacé des mémoires au fil des décennies, alors qu'elle est à l'origine de découvertes majeures en physique nucléaire. Heureusement, au début des années 1990, Marelene et Geoffrey Rayner-Canham l'ont sortie de l'ombre avec une biographie détaillée qui retrace sa vie passionnante, mouvementée et tragique.
Pour information, sur la couverture de ce livre, Ernest Rutherford apparaît tout à droite, avec un chapeau melon. La photo a été prise à Montréal, devant le Macdonald Physics Building, en 1899.
Après Montréal, Harriet a exercé en Pennsylvanie, à Bryn Mawr College (1901-1902), puis à Cambridge, en Angleterre, dans l'équipe de J.J. Thomson (1902-1903). Elle est revenue à Montréal, mais est rapidement redescendue aux Etats-Unis, à New-York, pour enseigner à Barnard College, un établissement affilié à l'université Columbia.
Là, elle a connu de sérieux déboires professionnels, pour la simple raison qu'elle a envisagé de se marier. Impensable ! Une femme ne pouvait pas exercer en même temps une activité professionnelle et les charges incombant à une épouse et mère... à moins de mal faire les deux. Elle reçut quelques soutiens, tenta de se défendre, et écrivit même une longue lettre à la principale de son College. Dans ce courrier, une phrase me semble emblématique à la fois de son état d'esprit combattif (elle qui avait toujours été très réservée et peu assurée) et des obstacles qui se dressaient devant elle (et devant beaucoup de femmes) :
« Je pense également que c’est un devoir vis-à-vis de ma profession et de mon sexe de montrer qu’une femme dispose du droit de pratiquer sa profession et ne peut être condamnée à l’abandonner simplement parce qu’elle se marie. Je ne peux pas concevoir que les universités féminines, invitant et encourageant les femmes à exercer un métier, puissent se croire, en toute justice, fondées à nier un tel principe. »
Cela ne changea rien. Et Harriet Brooks finit par tout plaquer : et son emploi et son soupirant.
Elle s'embarqua alors, à la fin de l'été 1906, avec un groupe d'amis rencontrés depuis peu, en l'occurrence Maxime Gorki, la compagne de ce dernier, nommée Maria Fiodorovna Andreïéva, et un pianiste et révolutionnaire du nom de Nicolaï Burenine.
Leur point de chute fut d'abord un village communautaire dans les Adirondacks (entre New-York et la frontière canadienne), puis l'Italie (Capri plus précisément). Quand Burenine décida de rentrer en Russie fin 1906, Brooks quitta Gorki et Andreïeva. Elle resta cependant en Europe et reprit des travaux de recherche dans le laboratoire de Marie Curie à Paris (grâce à l'aide de Gorki et d'Andreïeva, du fait que le premier connaissait Marie Curie et que la seconde maîtrisait le français).
Une fois repartie vers ses véritables amour, la science et ses mystères, Harriet aurait dû rester du même côté de l'Atlantique. Mais les évènements qui ont suivi ont quelque peu dérangé les plans qu'elle concevait (ou plutôt les plans qu'Ernest Rutherford lui avait suggérés). Pour en savoir plus, allez faire un tour sur la page consacrée à Londres et surtout au quartier de Bayswater.
Cela dit, la photographie qui suit, prise en 1921, donne une idée assez claire de la tournure que prit son existence.
Sources :
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Harriet Brooks: Pioneer Nuclear Scientist, Marelene & Geoffrey Rayner-Canham
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Super women in science, Kelly Di Domenico, 2002, page 25 et suivantes.
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Find a Grave, Harriet Brooks Pitcher
Pour en savoir plus : Harriet Brooks sur Wikipédia
Barbara (11 ans) / Frank Pitcher & Harriet Brooks / Charles (9 ans)
Au premier rang : Paul (8 ans)
Photo prise vers 1921, extraite de Super women in science, Kelly Di Domenico, 2002, page 31.
Plus d'information sur le site Find a Grave :
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Barbara Ann Pitcher (1910–1929)
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Charles Roger Pitcher (1912–1921)
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Paul Brooks Pitcher (1913–1998)