Autres personnalités ayant été en contact
avec Ernest Rutherford
Arthur Balfour (1848-1930)
Arthur James Balfour, 1st Earl of Balfour, fut premier ministre de Grande-Bretagne de 1902 à 1905. C'est à cette période qu'Ernest Rutherford le croise pour la première fois, dans le cadre du colloque annuel de la British Association, à Newport.
Diplômé de sciences humaines, philosophe, Balfour n'en était pas moins curieux de toutes sortes de connaissances, y compris les sciences naturelles. C'est ainsi qu'il fut membre de la Royal Society et assista à plusieurs colloques de la British Association.
Lors de celui qui se tint à Cambridge en août 1904, il occupait même les fonctions de Président du colloque. Il eut aussi l'occasion d'écouter Ernest Rutherford présenter sa théorie de la désintégration radioactive, développé à Montréal en collaboration avec Frederick Soddy.
À la suite de ce colloque, Ernest Rutherford écrivit à Arthur Balfour pour le féliciter de la teneur de son discours inaugural et pour saluer "l'étendue de ses connaissances scientifiques".
Balfour lui répondit moins de deux semaines plus tard : "Votre propre nom sera pour toujours associé avec la croissance de nos conceptions de l'univers physique, et c'est avec la plus grande satisfaction que j'ai lu que vous approuviez ma tentative de me confronter, depuis l'extérieur, avec les problèmes auxquels vous avez si grandement contribuer à apporter des solutions".
Quels étaient les arrière-pensées de chacun des deux hommes ? Rutherford voulait-il se faire bien voir? Balfour voyait-il déjà quelles implications pourraient découler de l'exploitation de l'énergie phénoménale que Rutherford et Soddy affirmaient être contenue par les atomes ?
Dans un tout autre registre, il peut être utile de préciser que Balfour avait bien d'autres connexions avec le monde de la science... et donc bien d'autres occasions de croiser Rutherford.
Par exemple, sa sœur Evelyn épousa John William Strutt, 3è Baron Rayleigh, qui fut directeur du laboratoire Cavendish de Cambridge (avant J.J. Thomson et avant Ernest Rutherford) et président de la Royal Society de 1905 à 1908.
Enfin, de 1885 à 1906, Balfour fut député de Manchester est. Même s'il perdit cette circonscription un an avant qu'Ernest arrive dans cette ville, il garda des liens avec plusieurs des personnalités locales. Parmi elles, le nom de Chaïm Weizmann doit être cité : chimiste doué exerçant à l'université de Manchester, il joua un grand rôle dans le développement de l'idée sioniste, cherchant des soutiens en Europe, tentant de convaincre d'autres personnalités juives de le suivre et donnant naissance à l'Université hébraïque de Jérusalem en 1925. Il influença Balfour dans la rédaction de la "déclaration Balfour" qui date de 1917, époque ou l'anglais occupait le poste de ministre des affaires étrangères. Weizmann fut aussi le premier président de l'état d'Israël.
Indépendamment de cela, Weizmann était collègue d'Ernest Rutherford, d'Arthur Schuster et de bien d'autres membres de la Lit & Phil de Manchester. Dans le cas de Rutherford et de Schuster, ce lien professionnel donna naissance à une réelle amitié (voir plus bas).
Pour en revenir à Balfour, ses liens avec Rutherford se prolongèrent encore. Tout d'abord durant la première guerre mondiale, puisqu'Ernest Rutherford fut impliqué, au sein du B.I.R., dans la rechercher sur la détection des sous-marins (en lien avec son ami français Paul Langevin), tandis que Balfour était ministre de la marine (Lord de l'Amirauté, selon le titre britannique officiel) et donc, à ce titre, créateur du B.I.R.. Balfour occupa ensuite les fonctions de Secrétaire d'État des Affaires étrangères, comme indiqué plus haut.
Une fois la guerre terminé, Balfour et Rutherford prirent des postes encore plus liés l'un à l'autre : au cours de l'année 1919, le premier devint chancelier de l'université de Cambridge, tandis que le second prenait la direction du laboratoire Cavendish, centre de recherche en physique intégré à la même université.
Homme d'état britannique
Rencontre en 1904
Cambridge (UK)
Image : Arthur Balfour photographié par le studio Bassano and Vandyk, autour de 1900 ;
Source : Britannica
Sources :
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Rutherford: being the life and letters of the Rt. Hon. Lord Rutherford, Arthur Stewart Eve, page 113
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Arthur James Balfour; the happy life of the politician, prime minister, statesman, and philosopher, 1848-1930, Kenneth Young, , 1963
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Trial And Error, The Autobiography, Chaim Weizmann, 1949
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Chaim Weizmann, Norman Rose, 1986
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Portraits des protagonistes de la Déclaration Balfour, Philippe Boukara, Tsafon, 2017.
Robert Boyle (1883-1955)
Fils d'un médecin de Terre-Neuve, Robert William Boyle commença sa vie un peu de la même manière qu'Ernest Rutherford, dans une famille nombreuse, dans un coin reculé et en passant chaque étape de son parcours scolaire grâce à un travail et une détermination qui lui valurent des classements remarquables et, aussi, l'obtention de bourses d'études pour financer les années suivantes.
En 1901, Robert Boyle s'inscrivit à l'université McGill de Montréal, pour suivre des études en ingénierie électrique. Il ne suivit sûrement pas beaucoup de cours avec le professeur Rutherford, mais le personnage l'attira néanmoins par son enthousiasme.
Il obtint son bachelor en science en 1905 puis son master en science l'année suivante. Il commença alors une thèse sous la supervision de Rutherford, tout en occupant un emploi de démonstrateur au sein du département de physique. Quand Rutherford quitta Montréal pour Manchester, Robert avait continué sa thèse avec John Cox, Howard Barnes et Arthur Stewart Eve, les responsables du service. Mais dès l’obtention de son doctorat en 1909, il avait traversé l’Atlantique pour intégrer l’équipe de Rutherford à Manchester. Cela lui avait été possible grâce à l’obtention de la bourse de l'exposition de 1851, celle-là même qui, quatorze ans plus tôt, avait permis à Ernest de quitter Christchurch et la Nouvelle-Zélande pour prolonger ses études à Cambridge.
De retour au Canada en 1911, Boyle commença une carrière d’enseignant-chercheur, tout d’abord à McGill, à Montréal, puis au sein de la toute récente université de l’Alberta à Edmonton. Il resta néanmoins en lien avec Rutherford. L’un comme l’autre regrettait de ne plus travailler ensemble.
Leurs échanges portaient essentiellement sur la radioactivité, puisque Boyle, malgré ses fonctions comme enseignant d'ingénierie électrique, parvenait à continuer quelques expérimentations, faisant suite à celles qu'il avait entreprises en Angleterre avec Rutherford et grâce au radium que ce dernier lui avait permis d'obtenir.
Début 1915, Boyle écrivit cependant une lettre sans aucun rapport : il proposait ses services pour la défense de l'empire britannique. Le temps que les instances dirigeantes mettent en place l'organisation adéquate, à savoir le Board of Invention and Research, Boyle put se joindre aux recherches de Rutherford sur la détection des sous-marins à partir de mai 1916. Il fut l'un des pivots de ce domaine, travaillant notamment en partenariat avec les Français, dirigés par Paul Langevin.
Cette expérience modifia totalement sa carrière puisqu'il continua après la guerre sur des recherches concernant la détection sous-marine. Les applications civiles étaient aussi très nombreuses, notamment pour localiser les icebergs et éviter un nouveau drame comme celui du Titanic en 1912.
Ce qui ne changea pas en revanche dans la vie de Robert Boyle fut sa relation chaleureuse avec Rutherford, qui dura jusqu'au décès de ce dernier en 1937.
Physicien Canadien
Rencontre en 1906
Montreal (CA)
Image : Robert Boyle en 1904 (Annuaire 1905 de l'université McGill)
Source : McGill University
Sources :
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Boyle Robert William - A pioneer in the development of modern ultrasound, Roozbeh Arshadi and Richard Cobbold, 2006
-
Exposé du docteur Boyle lors de la conférence interalliée, 19 octobre 1918, in Compte rendu officiel de la conférence interalliée sur la recherche des sous-marins par la méthode ultrasonore, PSL Explore, Fonds Paul Langevin
Maurice de Broglie (1875-1960)
Issu d’une grande famille, fils d’un diplomate et député, petit-fils d’un sénateur, ambassadeur et président du conseil, comptant également, entre autres, Germaine de Staël et son père Jacques Necker parmi ses ancêtres, Maurice de Broglie fut surtout inspiré par des hommes de bien plus simple extraction : Paul Langevin et Ernest Rutherford.
Destiné à une carrière militaire, Maurice de Broglie avait également une attirance marquée pour la science. Entré à l’école navale en 1893, il en sortit major de promotion en 1895. Affecté en Méditerranée, il faillit néanmoins mettre fin à sa carrière militaire seulement trois ans plus tard : intéressé par les rayons X et la radioactivité, deux découvertes récentes, il travailla durant six mois dans laboratoire installé dans la maison de famille, près de la place de l'Étoile à Paris.
À la fin de cette longue permission, il retrouva son affectation à Marseille… où il passa un certificat de Physique générale. Il monta en grade, obtint une licence de physique en 1900… et se fit repérer pour ses compétences scientifiques : l'Amirauté lui confia la tâche d’équiper tous les navires de l’escadre de Toulon de systèmes de télégraphie sans fil. En dépit de son succès dans cette mission et des éloges reçus, il décida de quitter l'armée en 1904. De retour à Paris, il s’engagea dans la préparation d'un doctorat, qu'il obtint en 1908. Son directeur de thèse était Paul Langevin.
Par la suite, Maurice préféra travailler dans le laboratoire qu'il avait fait aménager et équiper dans l’hôtel particulier dont il venait d’hériter de son père, au numéro 29 de la rue Chateaubriand, dans le 8e arrondissement de Paris.
En 1911, il fit la connaissance d'Ernest Rutherford à Bruxelles. Il était en effet secrétaire du premier conseil Solvay. Il rédigea d'ailleurs le compte-rendu de cette réunion en collaboration avec Langevin.
En 1913, il fut désigné pour faire la liaison entre les chercheurs britanniques et français dans le cadre des recherches menées sur la détection des sous-marins. Du fait que Langevin et Rutherford étaient tous deux engagés dans ces travaux, ils eurent donc de nouveau des raisons de collaborer avec Maurice de Broglie.
Ernest et Maurice de Broglie eurent d'autres occasions de se revoir par la suite, notamment lors des congrès Solvay de 1921 et 1933.
Physicien français
Rencontre en 1911
Bruxelles
Image : Maurice de Broglie en 1921, lors du troisième Conseil de physique Solvay, photographie de Benjamin Couprie
Source : The Solvay Science Project
Sources :
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Notice historique sur la vie et les travaux de Maurice de Broglie (1875-1960) académicien libre, Pierre Lépine, C.R. Acad. Sci. (Paris), 19 mars 1962
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L'œuvre scientifique de Maurice de Broglie, René Sudre, Revue des deux mondes, 1960
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Généalogie de Maurice De Broglie, Jacques Chanis, Geneanet
Sigmund Freud (1856-1939)
En 1909, à l'occasion du vingtième anniversaire de l’Université Clark, à Worcester dans le Massachusetts, Rutherford croise Sigmund Freud, accompagné de son disciple suisse Carl Gustav Jung.
Extrait de mon roman :
Médecin autrichien
Rencontre en 1909
Worcester, Massachusetts (USA)
Image : Sigmund Freud photographié par Ludwig Grillich, autour de 1905 ;
Source : Wikipédia
Ces deux derniers étaient venus exposer leurs vues au sujet du fonctionnement de l’esprit humain et de l’exploration de ses potentialités cachées – une spécialité médicale qu’ils désignaient par le terme de psycho-analyse . Ces idées restaient apparemment peu prisées de l’autre côté de l’Atlantique, mais le directeur de l’Université Clark, Stanley Hall , lui-même psychologue et correspondant régulier de Freud, s’était entiché de ses théories au point d’avoir décalé ces festivités de deux mois pour s’adapter à l’agenda du médecin viennois et de lui avoir offert un pont d’or – sept cent cinquante dollars ! – pour qu’il vienne éclairer le peuple du Nouveau-monde sur son sujet d’étude.
Une fois terminées toutes les conférences, chacun des vingt-neuf intervenants se vit attribuer un diplôme honoraire , y compris Ernest, bien sûr, qui avait cessé de les compter et s’était habitué à ce petit rituel. En réalité, plutôt que cette récompense sans grande utilité ni grande valeur, ce qui l’aurait vraiment réjoui aurait été de pouvoir bénéficier d’un peu plus d’enthousiasme de la part du public lors de sa présentation sur l’Histoire des particules alpha issues des substances radioactives. Mais il avait compris que le centre de l’attention était Freud, lequel avait eu le privilège de pouvoir s’exprimer à cinq reprises – une fois chaque jour, du cinq au onze septembre. Le fait qu’il le fasse en allemand ne l’avait d’ailleurs pas empêché de captiver son auditoire."
Sources :
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The Sigmund Freud and Carl Jung lectures at Clark University
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Freudian Trip by Perry Meisel, Jan. 24, 1993, The New York Times Archives
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When Freud Came to America by Russell Jacoby SEPTEMBER 21, 2009, In « The Chronicle of Higher Education »
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L’hérédité dans l’étiologie des névroses (1896), dans S. Freud, Œuvres complètes, t. III, Paris, PUF, 1989, p. 115.
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Sigmund Freud (1856-1939). Les trois sources de la psychanalyse, par Achille Weinberg, Septembre-octobre 2008, in Sciences Humaines.
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Granville Stanley Hall (page Wikipédia)
Ellen Gleditsch (1879-1968)
Pharmacienne de formation, Ellen Gleditsch s'est tournée vers l'étude des propriétés chimiques des éléments radioactifs.
Après sa formation et un début de carrière à Oslo, elle travailla en France et aux États-Unis, avant de revenir dans son pays d'origine où elle devint une figure centrale de la recherche et de l'enseignement portant sur la radioactivité.
Lors de ses deux séjours à l'étranger, elle effectua ses recherches en collaboration avec deux personnalités de premier plan dans ce domaine : Marie Curie (1907-1912), puis Bertram Boltwood (1913-1914).
Dans l'équipe de Marie Curie, elle fit la connaissance de May Sybil Leslie et de Eva Ramsted.
Chimiste Norvégienne
Image : Ellen Gleditsch vers 1910 ;
Source : Museum for universitets- og vitenskapshistorie - Universitetet i Oslo (Musée d'histoire universitaire et des sciences, université d'Oslo)
Sources :
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Museum for universitets- og vitenskapshistorie - Universitetet i Oslo (Musée d'histoire universitaire et des sciences, université d'Oslo)
-
A devotion to their science : pioneer women of radioactivity, Marelene Rayner-Canham,
-
Marie Curie, Susan Quinn
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The biographical dictionary of women in science : pioneering lives from ancient times to the mid-20th century, volume I,
Marilyn Ogilvie, Joy Harvey
Maxime Gorki (1868-1936)
En 1906, Gorki voyage en Amérique du Nord pour récolter des fonds. Il est accompagné de sa deuxième femme, Maria Andreïeva, et de son ami Nicolaï Burenine. À New York, les trois voyageurs russes rencontrent Harriet Brooks, ancienne assistante de Rutherford. Ils connaissent aussi quelques déboires qui les obligent à se retirer dans les monts Adirondacks. Ils en profiteront pour faire un crochet à Montréal où ils rendront visite à Ernest Rutherford.
Écrivain russe
Rencontre en 1906
Montréal (Canada)
Image : Maxime Gorki vers 1910 ;
Source : Wikipédia
Extrait de mon roman (qui débute par une conversation entre Harriet Brooks et May Rutherford, l'épouse d'Ernest) :
— Eh bien..., hésita Harriet, perdant subitement l’enjouement qui lui était venu au fil de son évocation des Adirondacks. Justement, je... je ne retourne pas à Barnard. Je ne reprends pas mon poste. J’ai démissionné. »
Les lèvres pincées de May s’écartèrent en une exclamation muette.
« Barnard et Columbia ont des liens très forts, comme vous le savez, développa la Canadienne ; je risquais donc de devoir côtoyer Bergen. Après avoir rompu avec lui, je n’aurais pas pu supporter de me trouver à nouveau en sa présence. Vous comprenez ?
— Mais bien sûr... C’est tout à fait compréhensible. Et c’est un choix des plus sages. Mais, dans ce cas... envisagez-vous de reprendre votre place auprès d’Ernest ?
— Eh bien, pour tout vous dire... je pars en Europe.
— En Europe ? Mais pour faire quoi ?
— Je pars avec monsieur Gorki et Madame Andreïeva... et Nicolaï Burenine, leur ami pianiste. »
May ne sut quoi dire et la conversation entre les deux jeunes femmes prit rapidement fin. Ernest fut un peu plus disert lorsque son épouse lui rapporta cette information le soir même :
« Cet aventurier bolchévique lui aura tourné la tête. Selon les journaux, ce Burenine n’est pas uniquement pianiste, mais aussi trafiquant d’armes et poseur de bombes. Après l’austère et glacial Bergen Davis, notre amie Harriet a voulu voir ce que pouvait donner son antithèse. Je ne lui accorde pas deux mois pour ouvrir les yeux et retourner à sa seule vraie passion : la science. Et d’ici quelques années, elle finira par trouver un homme raisonnable qui se situe au juste milieu entre ces deux extrêmes. »
Une fois encore, cette opinion ne sortit pas de l’intimité du couple : face aux intéressés eux-mêmes, Ernest sut rester courtois. Car début octobre, Maxime Gorki s’annonça au Macdonald Physics Building ; Maria Andreïeva et Nicolaï Burenine l’accompagnaient ; Harriet Brooks leur servait de guide .
Les visiteurs firent un tour complet du bâtiment et Gorki fit preuve d’un enthousiasme que la barrière de la langue n’empêchait pas de mesurer. Ses exclamations, ses sourires, ses mimiques, ses grands gestes étaient bien plus explicites que les tentatives maladroites d’Ernest pour expliquer ses travaux à Maria Andreïeva dans un mauvais allemand et un français encore plus défaillant — sans parler du manque de vocabulaire scientifique de la jeune Russe, qui maîtrisait toutes ces langues à la perfection, mais avait plus l’habitude d’y recourir dans des contextes littéraires ou politiques.
Sources :
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Harriet Brooks: Pioneer Nuclear Scientist (pages 59-60) de Marelene F. Rayner-Canham & Geoffrey W. Rayner-Canham, 1992
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Why Harriet Brooks fits the bill, by John Geddes, March 9, 2016 in MacLean's
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Le soleil (Québec), 8 octobre 1906, lundi 8 octobre 1906, accessible sur BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)
May Sybil Leslie (1887-1937)
Issue d'un milieu simple, comme Ernest Rutherford, mais tout aussi volontaire et travailleuse, May Sybil Leslie fut une précurseuse, notamment pour les distinctions qu'elle reçut et les postes qu'elle occupa dans la recherche en chimie. Elle apporta également d'importantes contributions à l'étude de la radioactivité en rejoignant successivement les équipes des pionniers de la radioactivité, les deux Prix Nobel Marie Curie et Ernest Rutherford. Elle se place ainsi comme l'une des figures féminines majeures de la science du début du XXè siècle et reste un exemple à suivre, plus de cent ans après, pour toutes les étudiantes désireuses de s'engager dans ce champ de recherche.
Chimiste britannique
Collaboration en 1911-1912
Manchester (Angleterre)
Formée à l'université de Leeds, May Sybil Leslie obtint en 1908 une licence de sciences avec mention très bien en chimie.
Elle prépara ensuite un master avant de se voir attribuer une bourse dite "de l'exposition de 1851" (étant alors la première femme à obtenir ce financement, dont Rutherford lui-même avait bénéficié en 1895 pour quitter la Nouvelle-Zélande et poursuivre ses études à Cambridge).
Elle choisit de rejoindre l'équipe de Marie Curie à Paris et commence à travailler dans le domaine de la radioactivité. Elle s'inquiète des dangers des matériaux radioactifs mais n'ose jamais en parler avec Marie Curie. À Paris, elle rencontre et se lie d'amitié avec deux autres chercheurs étrangers : la Norvégienne Ellen Gledditsch et la Suédoise Eva Ramstedt.
Toutes deux ont contribué à rendre plus plaisant son séjour en France : Marie Curie n'était pas facile à vivre et ne faisait aucun effort pour comprendre ou parler l'anglais avec ses chercheurs étrangers ; de plus, 1910 a vu une inondation dramatique à Paris et de nombreux appareils étaient hors d'usage par manque d'électricité ou à cause de l'humidité, sans parler des températures glaciales dans les laboratoires et dans son logement.
Source de l'image :
En 1911, elle quitte Paris et se rend à Manchester pour travailler avec Rutherford. Dans la photo ci-dessous, on peut remarquer qu'elle est l'une des deux seules femmes de l'équipe, avec Margaret White, sur un total de 25 personnes. Elle ne reste qu'un an à ce poste.
Pendant la première guerre mondiale, elle a dirigé un laboratoire à Liverpool qui participait à l'effort de guerre (production d'explosifs), un poste exceptionnel pour une femme à cette époque. Elle a été récompensée pour ce travail par l'attribution d'un doctorat de l'université de Leeds en 1918, le premier décerné à une femme.
Elle est morte quelques semaines avant son cinquantième anniversaire, en 1937, probablement à cause des matières radioactives qu'elle avait manipulées près de trois décennies plus tôt.
Sources :
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Woodlesford - the Story of a station (page May Sybil Leslie)
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Yorkshire Philosophical Society : May Sybil Leslie by Dr Abeer Al-Ghouleh
Richard Maclaurin (1870-1920)
Venant de Nouvelle-Zélande comme Ernest Rutherford, mais arrivé à Cambridge un an plus tôt, Richard "Dick" Cockburn MacLaurin aida son compatriote à s'intégrer dans la ville anglaise, peu accueillante pour ces étudiants du bout du monde. Ils se côtoyèrent 3 ans seulement, puisque Dick, diplômé en mathématiques et en droit, repartit en 1898 au Pays du Long Nuage Blanc.
Il enseigna près de 10 ans à Wellington puis migra aux États-Unis. D'abord en poste à Columbia, il prit en 1909 la présidence du Massachusetts Institute of technology. Si aujourd'hui le MIT est un centre de formation et de recherche de stature mondiale, il le doit à l'esprit d'entreprise de MacLaurin : il permit le développement de l'établissement en le transférant hors de Boston, de l'autre côté de la Charles River, dans une localité beaucoup moins urbanisée dénommée... Cambridge.
MacLaurin dirigea le MIT pendant 11 ans, jusqu'à sa mort, en 1920, à l'âge de 50 ans.
Si les liens entre Ernest et Dick ne sont pas les plus forts, j'ai choisi néanmoins de débuter ma biographie romancée de Rutherford en avril 1896, quand, avec trois autres compères, ils passent ensemble les vacances de Pâques à Lowestoft, station balnéaire sur la mer du Nord. C'est d'ailleurs pour cette raison que mon 1er chapitre s'intitule "Richard MacLaurin"... tandis que le second, porte le nom de "James MacLaurin" : le frère ainé de Dick a en effet joué un rôle encore plus crucial dans le destin d'Ernest Rutherford... sans le connaître. Car pour Ernest, se rendre en Angleterre en 1895 était impossible, sauf avec une bourse d'études. Il postula... mais ne l'obtint pas : elle fut attribuée à James, étudiant en chimie. Ernest se préparait à finir instituteur dans un village perdu ; mais James décida de se marier ; et de rester au pays ; et de renoncer à cette bourse... qui revint au second sur la liste. Lequel obtiendrait un prix Nobel 13 ans plus tard et deviendrait le père de la physique nucléaire.
Enseignant et administrateur
néo-zélandais
Rencontre en 1896
Cambridge (Angleterre)
Source de l'image :
Sources :
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The career of Richard C Maclaurin I - the early years - by Roy McLennan
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Rutherford: being the life and letters of the Rt. Hon. Lord Rutherford, O.M., by Arthur Stewart Eve, 1939, page 62 : lettre à May Newton du 25/09/1898
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Rutherford, Scientist Supreme, livre (1999) et site par John Campbell
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Rutherford, Simple Genius, by David Wilson
Guglielmo Marconi (1874-1937)
Né à Bologne d'un père italien et d'une mère irlandaise, Guglielmo Marconi s'est exilé en 1896 en Angleterre. Son pays d'adoption, puis le Nouveau monde lui permirent de gagner des soutiens, puis la reconnaissance et la fortune.
Inventeur italien
Rencontre en 1932
Londres (Angleterre)
À 21 ans, en 1895, Marconi a présenté sa toute première invention au ministre des Postes italien... qui n'en a pas voulu. Il met cap au nord, traverse la manche... et trouve des oreilles bien plus attentives et des esprits bien plus ouverts à Londres.
Mais qu'a-t-il inventé? À peu près la même chose qu'Ernest Rutherford qui, durant l'année universitaire 1895+1896 met au point un détecteur d'ondes hertziennes, ces ondes électromagnétiques de basses fréquences découvertes par Heinrich Hertz en 1888. Mais l'appareil de l'italien est bien plus performant que celui du néo-zélandais : alors que Rutherford parvient à détecter des ondes à trois quart de miles de distance, Marconi est déjà capable de couvrir un miles et demi. Et il ne cessera de progresser, envoyant des signaux au-dessus de la Manche, puis entre la Corse et la Côte d'Azur, et, finalement, entre la Cornouailles et le Québec le 12 décembre 1901.
Une telle prouesse lui vaudra le prix Nobel de physique en 1909 (juste un an après Ernest).
Outre leurs détecteurs et leur récompense suédois, les deux hommes auront un autre point commun : Marconi décède le 20 juillet 1937 et Rutherford le 19 octobre de la même année.
Cela étant, leurs différences sont encore plus nombreuses : Marconi n'avait qu'un frère aîné ; Rutherford était le quatrième d'une fratrie de 13. Le jeune Guglielmo était né dans une famille aisée et reçu une éducation dans des établissements privés ; Ernest suivi sa scolarité dans les établissements publics, réussissant à prolonger son parcours universitaire par l'obtention de bourses au mérite. À l'instar d'Hertz, de Roentgen, de Becquerel ou des Curie, Rutherford refusa de demander le moindre brevet pour ses créations (à l'exception unique d'un détecteur de sous-marin développé pendant la première Guerre mondiale), tandis que Marconi obtint plus de 35 brevets pour ses inventions. Rutherford veillait à attribuer à ceux qui les avaient réalisées le mérite des découvertes issues de son laboratoire (n'ajoutant d'ailleurs pas systématiquement son nom aux articles scientifiques publiés par son équipe). Marconi pour sa part ne rechignait pas à s'attribuer les idées des autres : l'une des biographies de Marconi mentionne qu'il était au courant des recherches de Rutherford sur les ondes... mais cela n'est pas évident à prouver ; en revanche, dans le cas de Nikola Tesla, ce sont une bonne quinzaine de brevet qui seraient litigieux et ce fut à la justice de donner son avis. C'est ainsi que la Cour suprême des États-Unis conclut que le Serbe avait effectivement été floué par l'Italien. Cela concernait une idée qui allait justement conduire ce dernier à l'obtention du Nobel en 1909 ; mais la décision ne fut rendue qu'en 1943.
Enfin, si Rutherford n'a jamais clairement affirmé ses idées politiques, il n'est pas difficile de constater qu'il était plutôt progressiste, féministe et d'un esprit ouvert, liant des amitiés avec des hommes et des femmes de nationalités et de religions très diverses. À l'opposé, il n'est pas anodin de mentionner que Guglielmo Marconi, Sénateur du Royaume d'Italie de décembre 1914 jusqu'à sa mort, fut nommé en 1930 président de l'Académie royale d'Italie par Mussolini (et le resta pendant les sept années qui lui restaient à vivre) et qu'il fut également membre du Grand Conseil du fascisme et affirma sans ambigüité son soutien au Duce.
Cette liste de de points de convergence et de divergence entre les deux inventeurs serait cependant incomplète si je ne citais pas aussi leur seule et unique rencontre : en 1932, Ernest Lord Rutherford of Nelson, alors président de l'IOP (Institute of Physics) remit au marquis Guglielmo Marconi la médaille d'or Kelvin, une distinction décernée par une autre organisation britannique, le British Institute of Civil Engineers (aujourd'hui "Institution of Civil Engineers").
La remise de la décoration se passe à Londres le 3 mai et Ernest prononce à cette occasion un discours qu'Arthur Stewart Eve, son biographe, reprend dans le volume qu'il lui consacre après sa mort. Puisqu'il est là pour tresser des lauriers à l'homme qu'il doit honorer, Ernest remplit sa mission. Mais il ne s'interdit pas de "recontextualiser" les mérites de son concurrent de la première heure... avec une plaisante ironie.
Il commença par rappeler les accomplissements des pionniers qui avaient précédé Marconi : James Clerk Maxwell, Heinrich Hertz, Edward Branly, Oliver Lodge, Alexandre Popov... puis il poursuivit:
Source de l'image :
C'est à ce stade, en 1895, que Marconi a commencé ses expériences en Italie. Il était si fermement convaincu des possibilités pratiques de cette nouvelle méthode de transmission de signaux qu'il est venu en Angleterre pour développer ses idées à une échelle pratique. Ses premières expériences en Angleterre ont été menées avec l'aide de feu Sir William Preece et de la Poste ... Marconi a progressivement étendu la portée de la signalisation de deux milles à vingt, et enfin, face aux prédictions de certaines des théories de cette époque, il a montré que les signaux pouvaient être transmis sur plus de 2000 miles à travers l'Atlantique...
S'il est naturel dans une si grande avancée technique que de nombreux hommes scientifiques de toutes les régions du monde aient joué leur rôle, je pense néanmoins que tous s'accordent sur le fait que le monde doit beaucoup à ce grand pionnier, le marquis Marconi, pour sa foi tenace dans les possibilités du sans fil, et pour sa capacité inventive et sa puissance à surmonter les nombreux obstacles sur son chemin, conduisant à la réalisation complète de son rêve précoce en moins de vingt ans - une réalisation vraiment magnifique!
Je me permets de vous rappeler que dans ma jeunesse à Cambridge, j'étais moi-même intéressé par les ondes électriques et j'ai conçu en 1896 un simple détecteur magnétique pour ces ondes. Je suis heureux de savoir que Marconi a pu développer et transformer le germe de ce simple appareil en un détecteur fiable et métrique qui pendant une dizaine d'années a rendu un service utile à l'humanité....
Sources :
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Marconi, Giancarlo Masini
-
My father, Marconi (Marconi, mio padre), Degna Marconi Paresce
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Rutherford: being the life and letters of the Rt. Hon. Lord Rutherford, O. M., Arthur Stewart Eve, page 355,
-
Science 27 May 1932: Vol. 75, Issue 1952, pp. 558-561 (DOI: 10.1126/science.75.1952.558)
Norah Schuster (1892-1991)
Née à Manchester, Norah Schuster était l'une des cinq enfants du physicien Arthur Schuster et de son épouse, Caroline Loveday. Elle deviendra une brillante pathologiste.
Médecin britannique.
Rencontre en 1907
Manchester (Angleterre)
Images :
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Norah Schuster à 3 ans (1895)
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Mains de Norah Schuster radiographiées par son père, Arthur Schuster
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Norah Schuster lors de la première réunion de la British Pathological Association, 1928
Source : Wikipédia
Norah Schuster commença ses études de médecine en 1911 à Manchester, puis les prolongea à Cambridge, obtenant son diplôme en 1918. Entre temps, elle avait aussi été assistante dans le laboratoire de pathologie de la Manchester Royal Infirmary.
Cela étant, sa première expérience médicale pourrait être situé en 1895 : âgée de trois ans, elle fut en effet utilisé comme cobaye par son père pour tester la méthode de photographie révolutionnaire que venait d'inventer l'Allemand Wilhelm Roentgen : la photographie aux rayons X.
Les deux mains ci-contre sont les siennes.
Elle n'en garda aucune séquelle et ne fut d'ailleurs pas la seule enfant à participer à ces expérimentations : son frère aîné, Leonard, se fit radiographier les pieds et un peu partout dans le monde, d'autres savants mirent à contribution leurs propres enfants. C'est notamment le cas de William Henry Bragg, qui radiographia son fils aîné William Lawrence Bragg, dans la ville australienne d'Adelaide. Vingt ans plus tard, le père et le fils Bragg obtinrent conjointement le prix Nobel de Physique pour leurs travaux sur la diffraction... des rayons X.
À Manchester, Norah fit aussi la connaissance de Chaim Weizmann. De dix-huit ans son ainé, Weizmann apparut, aux yeux de Norah, comme un grand frère, voire un guide, notamment sur le sujet du sionisme. Il faut dire que Weizmann essayait toujours de convaincre toutes les personnes qu'il rencontrait d'adhérer à ses idéaux politiques. Dans le cas de Norah Schuster, il y voyait deux raisons supplémentaires : même si sa mère était chrétienne et que son père, Arthur Schuster, s'était converti à la même religion, il n'en restait pas moins que Norah avait des ascendants juifs et, en plus, elle était jeune. C'était sur les représentants de cette génération nouvelle que Weizmann comptait pour faire aboutir le grand projet sioniste : la création d'un état juif.
Le seul souci, c'est que Weizmann en vint peu à peu à considérer Norah Schuster non seulement comme une alliée potentiel, mais aussi comme une jeune fille séduisante. Norah refusa ses avances et Caroline, sa mère, fit comprendre à Weizmann qu'il était préférable qu'il se tienne à distance. Pour information, quand cette scène se produisit, en 1912, Weizmann était marié.
Norah changea d'ailleurs de ville pour poursuivre ses études, puisqu'elle intégra cette année-là le Newnham College de Cambridge.
Elle devint une pathologiste respectée (et la seule femme à exercer dans ce domaine pendant de longues années : sur la photo du congrès de 1928 réunissant les spécialistes de ce sujet , elle est seule (2e en partant de la droite au 2e rang) au milieu d'une quinzaine d'hommes.
En plus de ses activités au sein de divers hôpitaux, elle s'investit dans le Emergency Medical Service pendant la Seconde Guerre mondiale Elle participa à la fondation du Royal College of Pathologists et devint présidente de l'Association des pathologie clinique en 1950. Elle fut également vice-présidente de la Société d'histoire de la médecine au sein de la Société royale de médecine.
Elle écrivit de nombreuses publications scientifiques dans son domaine, ainsi que des livres sur l'histoire de la médecine.
Depuis sa mort en 1991, le prix Norah Schuster est décerné chaque année par la Société d'histoire de la médecine.
Sources :
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Trial And Error, The Autobiography, Chaim Weizmann, 1949
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Chaim Weizmann, Norman Rose, 1986
Chimiste et homme d'état russe, britannique puis israélien.
Rencontre en 1907
Manchester (Angleterre)
Images :
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Chaim Weizmann en 1904. Source : Bull. Hist. Chem., VOLUME 42, Number 2 (2017), page 17
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Chaim Weizmann en 1906, le jour de son mariage avec Vera Chatzman. Source : Weizmann Institute of Science.
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Chaim Weizmann et Albert Einstein en 1921. Source : Wikipédia.
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Chaim Weizmann et Arthur Balfour en 1925. Source : Martin Kramer.
Chaim Weizmann (1874-1952)
Né dans l'Empire Russe, formé en Allemagne et en Suisse, devenu citoyen britannique en 1910 après six ans passé à Manchester, Chaim Weizmann, défenseur de la cause sioniste, deviendra le premier président de l'état d'Israël.
Dans son autobiographie, Trial and error, Chaim Weizmann évoque trois personnalités rencontrées lors de son séjour à Manchester. Ce ne furent pas les seuls, bien sûr, puisqu'il bâtit tout un réseau de relations qui lui permirent de faire avancer la cause sioniste qui était, à côté de ses travaux cruciaux dans le domaine de la chimie, sa principale préoccupation.
Les trois hommes dont il dresse le portrait étaient tous trois membres du corps professoral de l'Université Victoria, auquel il appartenait lui-même.
Le premier, c'est Arthur Schuster, dont il loue la générosité et la gentillesse, incluant dans ses éloges Carrie Schuster, l'épouse du physicien. Vera Weizmann et Carrie Schuster entretinrent d'ailleurs une très longue amitié.
Le second est Samuel Alexander, philosophe qui était, parmi tous les collègues d'Ernest Rutherford, celui qui habitait le pus près de chez lui à Withington. Alexander joua aussi un rôle d'intermédiaire, non seulement entre Weizmann et Balfour, mais également entre Rutherford et les mouvements féministes et suffragistes mancuniens, dont il était un membre actif.
Enfin, Weizmann évoque longuement Ernest Rutherford, donnant à son sujet un éclairage très particulier...
Un troisième homme avec lequel j’ai été en termes très amicaux était Ernest (par la suite Lord) Rutherford, et c'était aussi une amitié qui a survécu à des années de séparation. […] Rutherford était tout le contraire de Schuster. Jeune, énergique, bruyant, il suggérait tout sauf le scientifique.
Il parlait volontiers et vigoureusement de tous les sujets sous le soleil, souvent sans rien savoir. En descendant au réfectoire pour le déjeuner, j'entendais la voix forte et amicale rouler dans le couloir.
Il était tout à fait dépourvu de toute connaissance ou sentiment politique, étant entièrement absorbé par son travail scientifique révolutionnaire. C'était une personne gentille, mais il n’acceptait pas volontiers les imbéciles. […] Tout employé qui venait à lui et ne se révélait pas être un homme de première classe était évacué en peu de temps. Ainsi, être autorisé à travailler avec Rutherford fut rapidement reconnu comme une distinction, et une galaxie de jeunes physiciens et chimistes célèbres sortit de son école. Niels Bohr, le lauréat du prix Nobel danois, en faisait partie ; ce fut aussi le cas du brillant Moseley, dont la vie prometteuse a été fauchée à l'âge de vingt-sept ans par une balle turque à Gallipoli; Andrade, un jeune juif espagnol, Wilson, Geiger et d'autres personnes mémorables, étaient également de l'école de Rutherford.
Avec tout cela, Rutherford était modeste, simple et extrêmement bon enfant. Quand il est allé à Cambridge, je l'ai perdu de vue pendant un certain temps.
Il devint plus tard, à ma demande, un ami de l'Université hébraïque et présida une ou deux fois des dîners en son nom.
Je ne peux m'empêcher de relier mes souvenirs de Rutherford à ceux d'un ami plus proche, Albert Einstein. J'ai conservé la nette impression que Rutherford n'était pas très impressionné par le travail d'Einstein, alors qu’Einstein, de son côté, m'a toujours parlé de Rutherford dans les termes les plus éminents, le désignant comme un deuxième Newton. En tant que scientifiques, les deux hommes étaient de types très contrastés - Einstein n’étant que calcul, Rutherford qu’expérimentation. Le contraste personnel n'était pas moins remarquable : Einstein ressemble à un corps éthéré, Rutherford ressemblait à un grand Néo-Zélandais en bonne santé et bruyant "- c'est exactement ce qu'il était. Mais il ne fait aucun doute qu'en tant qu'expérimentateur, Rutherford était un génie, un des plus grands. Il travaillait par intuition, et tout ce qu'il touchait se transformait en or. Il semblait avoir un sixième sens dans sa résolution des problèmes expérimentaux. [….]
Rutherford s'amusait énormément à m’asticoter à propos du sionisme.
« Quel est le problème avec l’Angleterre ? » me questionnait-il souvent, riant à gorge déployée, assez fort pour être entendu par la moitié de l'université.
Un matin, alors que je venais d’entrer dans la salle des professeurs, il m'a poussé le London Times sous le nez :
« Regardez ça », a-t-il rugi.
Israel Gollancz avait été nommé professeur de littérature anglaise ancienne au Queen’s College de Londres.
« Vous voyez! cria Rutherford. Je crois savoir que le grand-père de Gollancz est venu de Galicie ! Il n’est pas question ici de chimie, ni de physique, permettez-moi de le dire, mais de littérature, quelque chose d’importance nationale ! ».
Et il finit par un grand éclat de rire.
« Vous savez, professeur, ai-je dit, si je devais nommer un professeur de littérature hébraïque à l'Université hébraïque de Jérusalem, je ne recruterais pas un Anglais !
– Je vous y prends ! riposta Rutherford. J'ai toujours dit que vous étiez borné, sectaire et chauvin.
– Pour l’Angleterre, expliquai-je, cela n’a pas beaucoup d’importance. Votre culture est trop bien établie. Gollancz peut même apporter une nouvelle note à l'enseignement de la littérature anglaise, et l'Angleterre en profitera. Mais si vous aviez dix chaires de littérature anglaise et que dix juifs les occupaient, qu'en penseriez-vous ?
– Oh ça ! rugit Rutherford, ce serait une calamité nationale. »
Aucun des hommes de Manchester n'avait autant entendu parler du sionisme avant de me rencontrer. Pourtant, qu'ils soient ou non devenus sionistes, ce qui est extraordinaire (c'est le moins qu'on puisse dire) c’est qu’ils ont tous été disposés à aider. Même Rutherford, avec toutes ses plaisanteries, a été emporté par l'idée de l'Université hébraïque.
Sources :
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Trial And Error, The Autobiography, Chaim Weizmann, 1949
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Chaim Weizmann, Norman Rose, 1986
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The impossible takes longer; the memoirs of Vera Weizmann, 1967
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German-Jewish pioneers in science, 1900-1933 : highlights in atomic physics, chemistry, and biochemistry, David Nachmansohn, 1979
Margaret White (1889-1977)
Née non loin de Manchester, Margaret White y suivit toute sa scolarité, avant de faire ses études à l'Université Victoria, dont elle sortie diplômée en sciences en 1910.
Météorologiste britannique.
Rencontre en 1907
Manchester (Angleterre)
Ayant débuté ses études en physique en 1907 à l'Université Victoria de Manchester, il est fort probable que Margaret White ait eu comme enseignant le professeur Rutherford, arrivé au même endroit la même année. Cependant, ce n'est qu'en 1911 qu'elle devient chercheuse au même endroit.
Avant cela, elle a enseigné un an à Glossop, une ville du Derbyshire à une vingtaine de kilomètres à l'est de Manchester, Elle prolongera cette activité d'enseignement une fois revenue à l'Université Victoria et l'exercera jusqu'en 1916. Son domaine était la pollution atmosphérique et elle assuma aussi la charge du département de météorologie.
De 1916 à 1922, elle dirige l'équipe de recherche de la Commission consultative sur la pollution atmosphérique rattachée au Conseil municipal de Manchester.
Elle quitte cette ville pour Londres et l'Imperial College en 1922, mais continuera sa carrière, à des postes de plus en plus élevés. C'est d'ailleurs une particularité de Margaret White : malgré son mariage en 1915, elle continua a exercer sa profession et à siéger dans diverses commissions. Cette situation n'était pas fréquente à l'époque, puisque la plupart des femmes cessaient leurs activités professionnelles dès qu'elles se mariaient (ce fut le cas d'Harriet Brooks) ou restaient célibataires pour continuer librement leur travaux (ce fut le cas de Lise Meitner). Dans tous les cas, cependant, le combat pour se faire une place dans le milieu académique restait difficile. On peut dire que Margaret White le remporta haut la main.
Elle travailla en effet jusqu'en 1957 à l'Imperial College de Londres sur la combustion et le transfert de chaleur. Elle participa ainsi à la mise au point de divers équipements exploités durant la seconde guerre mondiale (turbines à gaz des avions, lance-flammes, brûleurs à gaz dans les aérodromes). Son mariage, en revanche, prit fin en 1932. Elle reste cependant plus connue sous le nom de son mari, ou avec les deux noms accolés : Margaret White Fishenden.
Elle apparait sur trois photographies du groupe de recherche de physique de l'université Victoria de Manchester, en 1910, 1912 et 1913. Une seule autre femme figure sur l'une de ces images : May Sybil Leslie, sur le cliché de 1912 (où l'on peut voir Margaret White avec un grand chapeau noir).
Sources :
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Margaret Fishenden, sur Wikipédia
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Manchester Physics Students and Staff 1851–1961, page 40 - Robin Marshall
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Dialogue begins as community confronts, celebrates and learns from past, Deborah Evanson
26 Octobre 2021, sur le site de l'Imperial College de Londres (un court paragraphe est consacré à Margaret Fishenden) -
Image du groupe de recheerche de l'université Victoria de Manchester en 1912 : National Library of New Zealand