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Les objets de la vie de Rutherford

Le prix Nobel

The obverse side of the Nobel Prize meda
The reverse side of the Nobel Prize meda

Le prix Nobel de chimie 1908 a été décerné à Ernest Rutherford «pour ses recherches sur la désintégration des éléments et la chimie des substances radioactives».

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Quelle surprise !

Images : 

  • Les deux faces de la Médaille Nobel. L'envers est commun aux prix de physique, chimie, physiologie ou médecine et littérature ; le revers est spécifique aux prix de la physique et la chimie. Source : Britannica

  • Ernest and May Rutherford - Stockholm - 10 december 1908 - Nobel Prize Ceremony ; Source : Hvar 8 Dag - 10/12/1908

  • Svante Arrhenius en 1909, source : Wikipédia

  • Photo officielle d'Ernest Rutherford lors de la remise de son prix en 1908, Source : the Nobel Foundation archive

  • Lettre d'Ernest Rutherford à Arthur Stewart Eve en date du 22 décembre 1908. Source : Fontanus / McGill University

  • Texte d’un article paru dans le journal « Patea Mail », Volume XXXI, 22 Mars 1909, Page 3 (compte-rendu de May Rutherford de la cérémonie Nobel). SOurce : Paperspast

Cette récompense fut un tournant majeur dans la carrière de Rutherford : il obtenait une reconnaissance internationale. 

Le Prix Nobel n'était pas encore très médiatisé, surtout pour les disciplines scientifiques. Mais dans le monde de la recherche, l'aura qui y était associée était déjà suffisante pour que les récipiendaires de cette distinction soient considérés avec respect. 

Depuis 1901, il avait salué de grands noms, tels que Wilhelm Röntgen, l'inventeur des rayons X, Pierre et Marie Curie, pour leurs recherches sur la radioactivité, ou encore Joseph John Thomson, le découvreur de l'électron, ou Hendrik Lorentz, précurseur dans le domaine de la relativité, entre autres, tous couronnés en physique. Du côté des chimistes, la liste des lauréats comprenait Emil Fischer, Svante August Arrhenius, William Ramsay ou Henri Moissan.

Ernest and May Rutherford - Stockholm -

La première surprise pour Ernest était de recevoir ce prix alors qu'il n'avait que 37 ans

Bien sûr, Marie Curie avait 3 ans de moins quand elle l'avait obtenu en 1903 ; mais depuis, les scientifiques qui avaient été distingués étaient bien plus âgés. 

La deuxième surprise concerna la discipline dans laquelle il se vit récompensé : la chimie

Ernest se revendiquait comme un physicien et ne portait pas les chimistes dans son cœur.

Le plus épouvantable à ses yeux restait William Ramsay, mais Frederick Soddy, son ancien partenaire de Montréal s'était avérer, au fil du temps, tout aussi insupportable (surtout après avoir travaillé à Londres... avec Ramsay).

Il est pourtant intéressant de noter que parmi les meilleurs amis de Rutherford à l'époque figuraient l'américain Bertram Boltwood et l'allemand Otto Hahn... deux chimistes. 

En réalité, quels que fussent ses préjugés négatifs sur les chimistes, Ernest avait eu l'intelligence de reconnaître les limites de ses compétences dans ce domaine. Et c'était la raison pour laquelle il avait eu recours au services de Soddy, puis de Boltwood et Hahn. Ce dernier adopterait d'ailleurs la même démarche : après son séjour à Montréal auprès de Rutherford, le chimiste allemand avait obtenu un poste à Berlin où il avait formé un binôme avec une physicienne autrichienne, Lise Meitner. Une complémentarité des compétences qui permit de beaux progrès scientifiques. 

Mais revenons à notre Rutherford, professeur de physique appliquée, subitement bombardé "chimiste".

Deux raisons peuvent expliquer pourquoi les sages de Stockholm lui attribuèrent le prix Nobel pour cette spécialité.

Tout d'abord, la radioactivité était un domaine de recherche encore jeune en 1908, puisque sa découverte remontait à 1896. Savoir si les découvertes qui étaient faites relevaient de la physique ou de la chimie n'était pas toujours facile. Il était donc possible de caser un candidat au Nobel d'un côté ou de l'autre, en fonction des besoins. 

Et c'est ici qu'apparait la deuxième raison de ce choix : des manœuvres politiques entre les membres du comité Nobel, chacun ayant envie d'imposer sa sélection aux autres. 

En l'occurrence, Svante August Arrhenius penchait pour l'attribution du prix de Physique à Max Planck et du prix de Chimie à Ernest Rutherford, dont les travaux étaient complémentaires. Il voulait distinguer Rutherford, mais il craignait que si celui-ci remportait le prix de physique, Planck n'obtiendrait rien. En effet, Ernest avait été nommé par un plus grand nombre de personnes pour la physique que pour la chimie et la teneur même de ses travaux le plaçait en position de favori dans cette discipline.

Nominations d'Ernest Rutherford aux prix Nobel
Source : Nobel committee
  • Chimie 1907, Svante Arrhenius

  • Physique 1908, Svante Arrhenius

  • Physique 1908, John Cox

  • Physique 1908, Philipp von Lenard

  • Physique 1908, Max Planck

  • Physique 1908, Emil Warburg

  • Chimie 1908, Svante Arrhenius

  • Chimie 1908, Rudolf Wegscheider

  • Chimie 1908, Oskar Widman

  • Physique 1922 & 23, Th. Svedberg

  • Physique 1924, David Jordan

  • Physique 1931, 32, 33, 35, 37, J. Stark

Svante Arrhenius 1909.jpg

Mais Arrhenius connaissait bien le fonctionnement du comité chargé de décider de l'attribution des prix - et encore mieux la manière d'arriver à ses fins.

Il négocia pour que, contrairement aux années précédentes, les débats du comité débutent par le prix de Chimie. Et il obtint ce qu'il voulait : Rutherford fut choisi. Surtout parce qu'il y avait peu de noms proposés dans cette catégorie. Puis les sages évoquèrent le prix de Physique. Et le français â€‹Gabriel Lippmann fut retenu. Arrhenius avait échoué (ou réussi) à moitié. 

Le plus gênant pour son second favori, Max Planck, ce fut qu'en se basant sur des fuites de nombreux journaux avaient annoncé sa victoire. Sa déception fut grande au moment de la révélation des lauréats. 

Finalement, l'étonnement de l'inattendu lauréat du prix Nobel de Chimie n'était qu'un moindre mal.

D'ailleurs, une fois sa surprise passée, Ernest choisit d'accueillir avec humour l'attribution de cette récompense dans une discipline qui n'était pas la sienne. C'est ainsi qu'il inséra cette phrase dans le cadre du discours de remerciements qu'il prononça lors du banquet officiel, en présence de la famille royale de Suède : 

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Ernest Rutherford 1908 - Photo officiell

"I have dealt with many different transformations with various periods of time, but the quickest that I have met was my own transformation in one moment from a physicist to a chemist."

"J'ai été confronté à de nombreuses transformations différentes avec différentes périodes de temps, mais la plus rapide que j'ai rencontrée a été ma propre transformation en un instant de physicien en chimiste."

Le résultat fut un grand éclat de rire dans toute la salle, y compris parmi les héritiers du trônes et leurs proches. 

Il faut dire qu'Ernest s'exprimait après les autres lauréats, tous plus âgés et passablement bavards et ennuyeux.

Cela étant, il n'était pas au bout de ses surprises : ce séjour à Stockholm lui sembla être un rêve. Lui qui restait un homme simple et qui vivait pour ses recherches et sa famille se trouva catapulté dans des décors grandioses et face à des personnes à la fois rafinées et chaleureuses. 

Pour plus de détails sur le déroulement de cette "parenthèse enchantée", consultez la page "Stockholm"

Pour rédiger cette partie de mon roman concernant la remise du prix Nobel de Chimie à Ernest Rutherford en 1908, j'ai pu bénéficier de nombreuses sources. 

La première, bien sûr, est le site du comité Nobel, sur lequel on trouve des explications sur le déroulement, les discours des participants et même le menu du banquet. 

Cérémonie Nobel - Compte-rendu par Ernes

Ensuite, deux lettres m'ont apporté de précieux détails : l'une d'Ernest à Arthur Stewart Eve, l'un de ses acolytes de Montréal avec lequel il était resté le plus proche ; l'autre de May à Jim Rutherford, le frère préféré d'Ernest, qui vivait à Waverley, dans la province de Taranaki, dans l'île du Nord de Nouvelle-Zélande, à proximité de tout le reste de sa famille. Cette seconde lettre fut reproduite dans un journal local et a ainsi pu nous parvenir. 

(Apparemment, Ernest était plutôt fier de la petite blague avec laquelle il avait amusé la famille royale de Suède, puisqu'il la recycle dans le dernier paragraphe de la lettre que j'ai reproduite ici : "J'espère que mes amis de McGill ne sont pas trop surpris de ma soudaine transformation en chimiste.")

Compte-rendu cérémonie Nobel par May Rut
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